LA MOUILLERE par J.M. Pesce
La terre s’arrêtait au petit ruisseau, fuyant de la source d’eau chaude. C’était la fin du
Domaine de Furnion, clôturé par un mur. Côté Est un grand portail de fer, le portail de
Furnion, s’ouvrait sur l’étang.
Cette terre était plantée de vigne, puis transformée en champ de blé pendant la guerre de 40.
A la fin de la guerre elle est transformée en terrain de foot et de camping l’été.
C’est sur ce terrain de foot que fut trouvée la fameuse monnaie en or de Trajan.
Derrière le petit ruisseau : la Mouillère. Ce vaste espace était consacré depuis des siècles à la culture des salicornes, plantes permettant l’extraction de la soude et en même temps consommable. La zone était marécageuse, limitée à l’Ouest par le chemin vicinal N°3, elle était recouverte par les eaux de l’étang en automne. Elle faisait partie du Domaine des Massonnaud.
C’est là, sur une légère surélévation, qu’à la fin du XIXème siècle furent construits deux maisons surnommées « les chalets de Pierre Paul » par les habitants du village. La femme de Monsieur Pierre Paul était née Massonnaud.
Monsieur Paul, né en 1853 et décédé en 1935, selon ce qui figure sur sa pierre tombale au cimetière de Balaruc, était ingénieur (Un Etienne Paul était maire de Balaruc en 1865, peut être son père ?)
Mon grand-père, Louis Pesce, était le chauffeur de Monsieur Paul. Il fallait une tenue
parfaite: vêtements « peau de taupe », col glacé, manchettes, chaussures à boutons, casquette
et lunettes de protection contre la poussière, etc.
C’est chez Monsieur Paul que mon grand-père a connu ma grand-mère. A la suite de leur mariage ils sont venus habiter aux « chalets » dans une petite maison au bord de l’étang près du moulin à vent.
Il conduisait aussi la De Dion-Bouton. En ce temps-là les huiles des
moteurs étaient très épaisses et avant de pouvoir démarrer, surtout le matin, il fallait installer,
sous le carter moteur, un récipient contenant un liquide inflammable qui permettait de
chauffer le moteur : d’où le nom de chauffeur.
Les routes étaient des chemins de terre utilisés par des équipages hippomobiles où cahotaient
les rares voitures automobiles.
Les roues, constituées de fer et de bois, étaient entourées de grosse toile et la bande de
roulement était revêtue de gros rivets en acier. A l’intérieur de ces pneus il y avait une
chambre à air en caoutchouc et une valve près de laquelle était monté un système d’alarme
constitué d’un percuteur et d’une cartouche.
Les voitures De Dion-Bouton roulaient assez vite, pouvant faire des pointes de 100 kilomètres à l’heure suivant le terrain, dans un bruit assourdissant et dans la poussière. Les crevaisons étaient aussi fréquentes que les clous perdus des fers de chevaux oubliés sur la chaussée. Le chauffeur en était averti par le coup de feu de la cartouche. Il fallait alors changer la roue et réparer sur place.
Le chauffeur était aussi mécanicien. Il devait être capable d’effectuer le dépannage de
l’automobile.
L’éclairage se faisait avec ce que mon grand-père appelait des « wagons d’eau », deux
boîtes cubiques en laiton qu’il fallait astiquer et qui étaient posées sur les marches pieds du
véhicule. Cette eau qui s’écoulait sur le carbure de calcium dégageait de l’acétylène. Ce gaz arrivait dans les phares, par un tube qui se terminait par un bec qu’il fallait allumer à la tombée de la nuit. Devant cette flamme qu’il fallait régler à l’aide d’un robinet, il y avait une grosse loupe de verre, peut être une « Bernard Autoclipse » comme celle que je possède.
Quand mon grand-père n’était pas sur la route avec Monsieur Paul, il était à l’atelier privé
de celui-ci, 14 route de Montpellier à Sète. Il travaillait à la mise en pratique des idées de
cet ingénieur à l’esprit bouillonnant, créatif et perfectionniste.
Tout ce qui touchait à l’industrie de la viticulture était son domaine, entre autre les pompes à
vin pour le soutirage des cuves, le remplissage des foudres et des tonneaux. Il construisait aussi les cuves en béton armé.
Monsieur Paul était aussi créateur d’entreprise. C’est comme cela que furent créés « les carrés de Pierre Paul » que quelques Balarucois issus de cette époque connaissent bien .
Cette société s’appelait : L’OSTREICULTURE MERIDIONALE.
C’était le premier élevage d’huîtres sur l’étang de Thau, idée formidable si les
mésaventures de la guerre de 14/18 n’avaient eu raison des finances de monsieur Paul.
Aux Ateliers du midi monsieur Paul avait une fonderie dans laquelle il fabriquait du
matériel pour la vinification : fouloirs, pressoirs, robinets, raccords moteurs pompes. Il
travaillait surtout le bronze et la fonte.
Pendant la guerre de 14/18, l’armée lui a demandé de travailler pour la défense du pays et de
fabriquer des obus et des canons. Il a refusé, n’ayant pas l’outillage pour faire ce qu’on lui
demandait mais après des tractations et des commandements de faire, il a été obligé de
s’exécuter. L’utilisation de ce matériel s’est avérée déplorable. Les fûts de canons éclataient.
Accusé, à la fin de la guerre, il a dû affronter plusieurs procès pour prouver sa
bonne foi. Il cesse toutes activités vers 1920, à l’âge de 67 ans, les parcs à huîtres sont
abandonnés avec le renvoi du personnel, dont ma famille.