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DORTOMAN, MONTPELLIER, BALARUC : LEUR RÔLE DANS L’HISTOIRE DE LA MÉDECINE ET DE LA PENSÉE, première partie.

Publié le par Régis Ayats

BALARUC A UN INCROYABLE PATRIMOINE 

PATRIMOINE IMMATÉRIEL. SAISON 2, ÉPISODES 2 et 3

NICOLAS DORTOMAN INVENTEUR DES THERMES DE BALARUC & RÔLE DE BALARUC DANS L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE ET DE LA PENSÉE

Nicolas Dortoman, buste

 

 

ETUDE  A PARTIR DU TRAITE:

De causis et effectibus Thermarum Belilucanarumparuo interuallo à Monspeliensi urbe distantium

 

"Sur les causes et les effets des Thermes de Balaruc, tout près de la ville de Montpellier"

 

Edité chez Charles Pesnot Éditeur à Lyon 1579, en 2 livres.

 

PREMIÈRE PARTIE, FIERS MAIS REDEVABLES... par Régis Ayats

Pour que la raison et l'expérience l'emportent sur toute autre considération d'ordre irrationnelle ou métaphysique.

Nicolas Dortoman n'est pas le Maître qui a le plus écrit à l'Ecole Royale de Médecine de Montpellier et on a vu combien il était sollicité par ses diverses activités tant à Montpellier qu'à travers tout le royaume.

L'afflux des élites sociales aussi bien que des gens ordinaires auprès des bains amena les autorités politiques à les restaurer précise Jean Meyers dans sa préface de la traduction éditée chez Editions-Garnier à Paris.

De toutes parts dans la communauté nationale et européenne on se presse à l'Ecole de Médecine de Montpellier où sont les enseignements et les idées scientifiques les plus modernes. On presse Nicolas Dortoman qui est l'autorité médicale reconnue de mettre par écrit sa pensée et sa pratique médicale. Ce médecin brillant n'a pas encore écrit tant son emploi du temps l'en empêche. D'ailleurs dans son épître à Henrisch Stapedius, un de ses élève et concitoyen germanus (allemand), domicilié alors à Cologne, Dotoman dit que celui-ci l'a prié et supplié de ne pas accepter que son Traité sur les Thermes de Balaruc,  de loin les plus dignes parmi les Thermes de toute l'Europe, demeurât plus longtemps à l'abri, en repos et bien caché, chez moi, et plus loin de préciser encore son insistance répétée afin que ce Traité soit publié: ce que je n'aurais probablement jamais fait de mon propre chef sans tes pressants coups d'éperon, tout simplement parce que cela ne lui paraissait pas plus vertueux que ce qu'avait fait Hercule en nettoyant les écuries d'Augias.

Parce qu'en fait les Thermes de Balaruc étaient alors à cette époque dans un tel état que les comparer aux écuries d'Augias n'était pas un vain mot.

Un autre élève de Dortoman installé à Leipzig, dans une épître, fait l'éloge de son très digne et respectable Maître, puis dans son poème il dit: mais s'il a plu aux Dieux que l'effort surpasse tout, comment laisser un problème sans enquête approfondie? Et plus loin de rajouter: déterminer les causes et les effets des Thermes, voilà le but que le premier tu t'es fixé: là tout est inconnu, mais rien ne pourra échapper à ton esprit.

Bref voilà Dortoman soutenu et extrêmement sollicité de toutes parts en Europe pour rédiger son Traité. Il n'est pas le premier dans la rédaction d'un ouvrage du genre De Balnéis  (genre littéraire qui traitait des thermes en Italie, en Allemagne et en France depuis le XIIIème siècle). Mais comme le dit J. Chandelier à propos du De Balneis de Gentile da Foligno, médecin de Pérouse, il s'agit d'allier à la fois une tradition scolastique livresque à l'expérience vécue du médecin. Or on va voir avec Dortoman que cela ne va pas lui suffire et qu'à l'instar de ce qui se produit à Montpellier désormais, la théorie devra être confrontée à l'expérience. C'est à dire tirer les conclusions de la pratique et en dicter des règles mais seulement dans la mesure où l'expérience est reproductible et non basée sur une ou quelques observations. C'est là une démarche scientifique précoce. C'est là la nouveauté de la contribution de Dortoman et c'est cela qui en fera sa célébrité. Voilà pour nous balarucois une chance inouïe, il choisit les eaux chaudes thérapeutiques de Balaruc (que l’on désigne sous le nom générique de thermes), comme champs d'application de sa pensée à la fois médicale et scientifique, théorique et pratique, voire pensée universelle.

Ce Traité va contribuer à changer le mode d'exercice et de pensée de la médecine en général et de l'utilisation des thermes en particulier. En France, le De Causis (puisque désormais nous appellerons ainsi le De Balneis de Balaruc), n'est pas le premier Traité mais on l'a compris c'est le premier par son contenu qu'on qualifiera sans exagérer de moderne. Avant lui on citera Mithobe Buchard 1556, Hubert Jacob 1570, Jean le Bon 1576, Roch le Baillif 1577, Philippe Besançon 1577. Tous ceux qui succéderont au De Causis de Dortoman dans les décennies et siècle qui suivront, s'inspireront de lui et en particulier Jean Banc, ancien élève de Dortoman, à propos des eaux du bourbonnais 1605, Isaac Cattier, élève aussi, à propos des eaux de Bourbon 1650.

Madame Berriot-Salvador, spécialiste du XVIe siècle à l’université Paul-Valéry Montpellier, s'est livrée à une étude intéressante du Traité de Dortoman (Colloque de 2014 avec un compte rendu dans: Nicolas Dortoman et Balaruc, Editions-Guilhem 2015. Etudes réunies par Jean Meyers et Brigitte Pérez-Jean), Nicolas Dortoman: l'esprit et la méthode d'un professeur de Montpellier", pp 95-117).

En préambule du Traité un autre poème d'Andréas Widholz d'Ausbourg évoque le savoir de Dortoman humaniste et classique dans l'évocation de ses références médicales, qui sont celles aussi défendues dans l'Ecole de Montpellier. Car, dit-il, non seulement Hippocrate de Cos, Galien, Avicenne sont enseignés par toi, d'un verbe disert, dans une chaire royale; mais encore: tout le savoir que l'on obtient en beaucoup d'années par un travail acharné dans des Portiques retirés, autant nous en recueillons en une heure rapide comme l'éclair, grâce à tes paroles au sein de la Palestre qui t'est chère. On comprend qu'il n'ait pas eu le temps d'écrire comme ses homologues contemporains de Montpellier comme Laurent Joubert ou Guilhaume Rondelet. Ce que dit de manière poétique Widholz est clair, en dehors des cours magistraux, Dortoman donnait probablement aussi des enseignements sous des Portiques retirés et très probablement des exercices pratiques au sein de la Palestre, c'est à dire de palestres privées. On pourrait y voir là, évoquées à demi-mot, les séances d’anatomie privées qu’il devait délivrer sur des dissections alors interdites.

Laurent Joubert

L'année même de la sortie du Traité en 1579 chez Charles Pesnot à Lyon. Autre éditeur, Jean Paul Zangmaister, édite la pharmacopée de Laurent Joubert qui dans sa préface met en valeur l'apport et la contribution de Dortoman; ils se connaissent très bien. Il loue Nicolas Dortoman, Docteur Royal et Professeur en l'Université de Montpellier (...) qui entre ses autres occupations a mis la main à ce labeur, par lequel il satisfera aux Apoticaires les mieux versés, mais mesme aux plus sçavants medecins et chirurgiens.

"De Causis"
"De Pestis" trad. 1581

Joubert et Dortoman sont très liés, en attestent les courriers qu'ils se sont échangés ainsi que le poème que Dortoman à rédigé pour le De Peste de Joubert en 1567, édité chez Charles Pesnot à Lyon; ce même Charles Pesnot qui éditera le De Causis de Dortoman deux ans plus tard. Madame Berriot-Salvador évoque l'hypothèse selon laquelle  Stapedius le lyonnais aurait servi d'intermédiaire entre l'éditeur Charles Pesnot et les deux auteurs montpelliérains.

Guilhaume Rondelet, portrait et le "De Pescibus"

Tout ce travail de Dortoman avec Joubert et Rondelet avec le De Pescibus, est fait pour s'opposer de manière contradictoire  aux  empiriques et contre les abus de tous ordres.

Pour cela il va être nécessaire d'organiser le discours et la pratique autour de principes raisonnés.

 

Les choses sont dites, Joubert, Rondelet et Dortoman ainsi que l'ensemble de l'Ecole vont se référer aux plus anciens sages tel Hippocrate et Aristote mais aussi plus récents Galien et enfin Avicenne.

Dans son traité, Dortoman ouvre son livre I par une

Armoiries Coligny-Châtillon

dédicace à François de Châtillon, chef militaire protestant illustré pendant les guerres de religion. François de Coligny devient de Châtillon à la mort de son père l’amiral de Coligny Gaspard II seigneur de Châtillon, mort assassiné la nuit de la Saint-Barthélemy.

Cette dédicace commence certes par les trois grands préceptes attribués à Chilon ou aux Sept Sages et gravés à Delphes dès l'entrée du temple d'Apollon. Au moins un des trois a marqué la conscience de toute l'humanité, le Connais-toi toi-même. Ne convoite rien de trop et Considère que la misère est compagne de dettes et de procès devaient compléter le premier précepte bien connu aux dires de Dortoman.

Plus loin Dortoman s'exprime sur les sentences d'Hippocrate de Cos défendues par l'Ecole de Cnide et parmi elles, en voici une, qu'il ne faut pas prendre à la légère, inscrite en exergue du Livre I du Traité: un médicament ou des médicaments en petit nombre, et adaptés au malade, sont plus à recommander que de plus nombreux remèdes, si toutes fois ce traitement restreint donne des garanties de sécurité.

A la suite de cela, en accord avec cette sentence, Dortoman exprime son point de vue sur les médicaments simples et uniques ainsi que composés ou multiples. On l'aura compris, en désaccord avec la Thériaque et Mithridate et autres Grands Antidotes, il situe le terrain de son expérimentation par le choix d'un remède unique, simple, composé par la nature en tout cas, et non par la charlatanerie frelatée de l'art, offert gratuitement, connu très couramment par l'expérience, mais mal démontré jusqu'ici par la raison, un remède auquel aucun auteur n'a jamais consacré un ouvrage pour la postérité (...) Tel est mon ouvrage... à propos de l'élément liquide de Balaruc (...).

Dortoman  choisit les Thermes de Balaruc pour sa démonstration sur les remèdes simples et en petit nombre adaptés aux maladies et non les réputées panacées, ces préparations comprenant d’innombrables éléments. De plus Dortoman fustige les abus qui sont faits de ces thermes au point qu'ils puissent devenir dangereux. Dortoman prend en compte donc les effets secondaires, voire les surdosages de ce médicament et donc cette nécessité de devoir réglementer les prises en quantité et en qualité. Et Dortoman de préciser au début de son Livre I que si ces eaux ont pu être dangereuses ce n'est pas à l'usage de ces sources chaudes mais à leur abus qu'il faut en assigner, en attribuer, en octroyer la responsabilité. Pour ce faire il dit un peu plus loin que ses deux livres viseront à préserver comme à modifier le tout et les parties et seront traités dans le plus grand respect des méthodes à la fois rationnelles et expérimentales.

Tel est l'esprit novateur de l'Ecole de Montpellier et par effet d’entrainement celui des thermes de Balaruc où l'on applique de facto les mêmes principes. Devenus une référence et un gage de modernité cette doctrine va s'affirmer pendant des siècles. 

Le Traité sur les thermes de Balaruc en sera l'un des principaux supports. Dortoman annonce carrément la couleur, il s'agit de dénoncer et corriger les abus et les usages inconsidérés des eaux pouvant entraîner une mort prématurée des patients et un discrédit sur les thermes. Le Traité est rédigé selon la règle en vigueur opposée aux empiriques de tous poils c'est à dire d'abord l'exposé de la théorie puis dans le Livre II la pratique et le tout de manière rationnelle et expérimentale selon ses propres mots. Par ces idées il se situe dans la droite ligne de son université et en accord avec ses collègues montpelliérains Laurent Joubert et Guilhaume Rondelet.

Ainsi Rondelet, dans son écrit le Des Poissons (extrait cité par Evelyne Berriot-Salavador dans Nicolas Dortoman et Balaruc, Editions Guilhem, Etudes réunies par Jean Meyers et Brigitte Pérez-Jean  p 107) de rappeler aussi: Il est donc besoin d'user de quelque moyen pour juger et discerner les choses. C'est la raison avec l'esprit bien instruit et appris. Au moyen de quoi les anciens nous ont laissé un art de bien traiter et débattre des choses, qui nous est comme instrument et certain moyen pour bien, de bon ordre, et clairement enseigner toutes choses, les considérer et les examiner, et distinguer les fausses des vraies. C'est la logique.

La nouveauté réside dans cette modernité dans l'esprit de la conception de l'expérience et son application avant d'énoncer une vérité et que le résultat de cette expérience soit reproductible pour que cette vérité soit actée. Pour qu'un effet soit retenu en tant qu'issu d'une cause bien déterminée, il doit être capable de pouvoir se reproduire pour la même cause. Il le répétera à l'envie quand il prévient contre toute attente et dès le titre du Chapitre 5 du Livre I que: Si les effets des Thermes de Balaruc doivent être considérés comme relevant de causes qui agissent métaphysiquement ou physiquement sa réponse sera claire: nous avons pensé qu'il valait la peine de préciser d'emblée que, pour notre part, nous traiterons des effets de ces Thermes de manière non métaphysique, mais physique et médicale.

C'est la logique qui va encore une fois par l'intermédiaire d'Aristote inspirer sa pensée. Dans la dédicace au très noble et très vénérable prélat Évêque de Saint-Pons-de-Thomières, Jacques de Castelnau (de Clermont-Lodève, issu d'une ancienne famille de l'aristocratie languedocienne), Dortoman prononce au début un discours retentissant sur les causes et les effets. Causes et effets qui vont donner le titre de son Traité.

Armoiries épiscopales de Jacques de Castelnau de Clermont-Lodève
Armoiries de Jacques de Castelnau

Dortoman évoque l'ère désormais révolue des médecins du passé, ceux qui soignaient une maladie singulière, cédant la place à ceux tel Briarée aux cents mains qui soignent toutes les maladies à la fois, voulant dire toutes de la même manière. Dortoman, pour les initiés à cet art sacré qu'est la médecine, considère qu'il faut s'appuyer sur l'expérience, non plus empirique mais celle qui fait appel à la théorie qui recherche le dioti, le pourquoi. Et de rajouter encore: Voilà celui qu'aujourd'hui encore nous définissons comme disciple rationnel de la médecine: il ne soumet pas la raison uniquement à l’expérience, mais d'abord il l'explore, la scrute, l'examine en détail, elle qui est plus proche de la nature en général et de sa propre nature en particulier, désormais plus saine.

En conclusion on peut dire que Nicolas Dortoman sut avec Rondelet et Joubert à l'Université de Montpellier au cours de ce moment privilégier de la Renaissance, s'affranchir des contraintes et se tourner à nouveau vers les valeurs classiques. Fortement influencés par la philosophie antique grecque, ces médecins surent ensemble, redonner un nouveau souffle à l'art médical. Ces esprits aristotéliciens novateurs et scientifiques modernes, mus par la puissance de la logique, ont fait avancer la médecine en acte au point qu'aujourd'hui on puisse encore se reconnaître dans leurs enseignements. C'est dans la recherche logique du "quoi" et du "pourquoi" des maladies et des moyens thérapeutiques et la nécessité de mettre en place le minimum thérapeutique adapté que l'on se reconnait le mieux. La prévention enfin est évoquée aussi et abondamment développée. C'est dans cet ensemble que Dortoman et ses contemporains montpelliérains ont été des précurseurs. Pour le dire, Dortoman a eu l'idée de choisir les Thermes de Balaruc comme sujet d'étude et nous pouvons en être fiers. Fiers mais en contre partie redevables…

Nicolas Dortoman est vraiment l'inventeur des Thermes de Balaruc et du thermalisme. Il aura redonné ses lettres de noblesses à la fois aux Thermes de Balaruc et à ce moyen thérapeutique en le redéfinissant, en précisant ses indications et en codifiant ses moyens.

Bibliographie

- Nicolas Dortoman. Sur les causes et les effets des Thermes de Balaruc, tout près de la ville de Montpellier. Edité chez Charles Pesnot Éditeur à Lyon 1579, en 2 livres.

- Jean Meyers et Brigitte Pérez-Jean, Nicolas Dortoman et Balaruc. La Médecine Thermale à    la  Renaissance. Editions-Guilhem 2015. Minutes du colloque de 2014.

- Nicolas Dortoman. Traité sur les Thermes de Balaruc. Traduction et édition critique par Marie-Françoise Delpeyroux, Jean Meyers et Brigitte Perez-Jean avec la collaboration de Régis Ayats. Paris Classiques Garnier 2018.

 

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