DORTOMAN, MONTPELLIER, BALARUC : LEUR RÔLE DANS L’HISTOIRE DE LA MÉDECINE ET DE LA PENSÉE, deuxième partie.
BALARUC A UN INCROYABLE PATRIMOINE
PATRIMOINE IMMATÉRIEL. SAISON 2 : EPISODE 2 et 3
NICOLAS DORTOMAN INVENTEUR DES THERMES DE BALARUC & RÔLE DE BALARUC DANS L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE ET DE LA PENSEE
ETUDE A PARTIR DU TRAITE:
De causis et effectibus Thermarum Belilucanarum paruo interuallo à Monspeliensi urbe distantium
"Sur les causes et les effets des Thermes de Balaruc, tout près de la ville de Montpellier"
Edité chez Charles Pesnot Éditeur à Lyon 1579, en 2 livres.
DEUXIÈME PARTIE : « passé et présent doivent fonctionner comme une unité ».
Cicéron, Dortoman, réflexion à propos de deux messages mais une même pensée fondamentale plus nécessaire que jamais..."
Je reçois une lettre du Professeur Carlos Lévy longtemps professeur à L'université Paris-Sorbonne, devenu un ami personnel mais aussi de Balaruc, spécialiste de langue, littérature et philosophie de l'Antiquité. Cet universitaire de renom est également d'ailleurs comme il le dit lui-même, bénéficiaire de longue date des thermes de Balaruc pour une affection rhumatismale assez sérieuse.
Dans sa lettre, en érudit qu’ici il n'est pas nécessaire de qualifier, le professeur Carlos Lévy développe un parallèle entre le constat de la situation que fait Cicéron de Rome au premier siècle avant J.C. et celle d'aujourd'hui. En effet on aurait tendance à oublier le passé et ses enseignements. "Le passé est un legs, qui crée une responsabilité, écrit-il, et qui exige aussi une volonté empêchant que ce qui fut ne sombre pas dans l'oubli" et de rajouter: "cela est vrai pour la citoyenneté, cela est vrai aussi pour tout ce qui relève de la culture". Il compare de manière très symbolique cette responsabilité et cette volonté à celle que l'on rencontre dans les palimpsestes. En effet, par économie de parchemin, on effaçait un premier texte pour en écrire un second sans que ne disparusse, comme il le dit, entièrement le premier, pour de manière responsable et volontaire en garder la mémoire.
C'est bien de cela qu'il s'agit à Balaruc. Il est important tout en écrivant le présent de ne pas oublier le passé pour en garder le souvenir et continuer à s’en inspirer. A ce propos, le professeur Carlos Lévy rajoute que "le sol de la région balarucoise offre à qui veut bien les lire de multiples et antiques traces d'édifices publics ou privés qui sont autant de récits tissant inlassablement la dialectique de ce qui demeure identique et de ce qui change".
Comment ne pas être ému par cette vision de raison et de sagesse, moi qui cherche, collecte et commente inlassablement depuis des années les témoignages de notre incroyable patrimoine. Je suis convaincu que ce travail de recherche sur le patrimoine matériel et immatériel de Balaruc sera immanquablement suivi tôt ou tard d’une prise en compte et d'une mise en valeur. Je suis convaincu que le patrimoine et l'environnement sont des valeurs sûres et d’avenir à défendre pour demain. Tous les enseignements que l'on retire depuis des mois de la traduction du Traité de Dortoman, analysé par les meilleurs exégètes, "comme autant de paroles que l'on aurait pu croire perdues, (et qui) nous viennent de loin, de très loin", n'aurait pas été possibles sans le sens d'une responsabilité et d'une volonté. Car c'est de responsabilité et volonté qu'il s'agit. Si nous ne faisons pas ce travail j'ai peur que dans un avenir qui pourrait être très proche on ne vienne nous le reprocher...et peut être même nos propres enfants car c'est d'avenir économique et d’emploi qu'il s'agira. L’histoire, le patrimoine et l’environnement incroyables dont nous jouissons vont réaliser des atouts supplémentaires dans la compétition qui se profile entre les villes thermales. Toutes les villes d’eau s’organisent pour produire du plus dans la perspective de cette compétition de l’après sécurité sociale. Encore faudrait-il que nous en prenions conscience et en eussions envie et qu'en responsabilité nous mettions en place les justes et bonnes mesures de protection et de développement de ce qui va devenir un véritable produit…
Enrichir notre patrimoine en le préservant et en l'accroissant "n'est pas l’apanage des seuls historiens, archéologues et conservateurs de musées. Cela suppose chez tous, le sens des responsabilités" rajoute Carlos Lévy, "une volonté".

Enfin dans son analyse de l'œuvre de Dortoman à Balaruc, Carlos Lévy tente un parallèle entre Cicéron et Dortoman affirmant que ces deux hommes que tout sépare par la formation mais aussi parce que issus de deux périodes éloignées, premier siècle avant et seizième siècle après J.C., avaient une vision pourtant identique, «ce refus de considérer l'être humain comme une particule atomique qui pourrait subsister isolément ". Cicéron réclamait que le citoyen prît en compte le passé de la République et le perçût non comme une entité étrangère mais comme son propre passé. En écho à la parole de Cicéron, considérant que passé et présent doivent fonctionner comme une unité, Dortoman, dans un autre domaine qui est la médecine, est mû par la même pensée qui "ne conçoit pas une médecine fragmentée, divisée en secteurs s'ignorant les uns des autres".
Dortoman fait partie des humanistes, comme nous pouvons l’être aujourd'hui nous aussi, il est pétri d'humanités, c'est à dire des valeurs de la pensée des auteurs du passé qui participent de la réflexion de celles du présent. L'humanisme réalise encore une fois une sorte d'unité que d'aucune qualifieraient de parfaite :. Cette unité passé-présent, j'en suis convaincu, exprime cette notion aristotélicienne d'un ensemble en puissance qui va se traduire en acte avec force. C'est ce qui s'est passé avec Dortoman et ses semblables contemporains quand cette idée a germée de manière précoce mais retenue dans un premier temps parce que réprimée mais s'est exprimée secondairement avec la force qui lui revenait.
Les principes d'unité et de causalité sont bien les valeurs pour lesquelles Dortoman s'est battu. C’est parce que ses contemporains et ses élèves insistaient de toutes parts, mais aussi parce qu'il bénéficiait des appuis nécessaires de la part des puissants qu’il soignait, chef militaire et prélat, (François de Châtillon et Jacques de Castelnau), qu'il s'est enfin exprimé par écrit dans le De Causis de Balaruc. C'est bien de renaissance qu'il s'agit quand on évoque alors la notion d'unité dans le principe. L'homme est considéré comme le fruit et dans le même temps partie prenante de son environnement naturel et même cosmique comme le rajoute Carlos Lévy.
"Si Balaruc a pour lui une telle importance, rajoute-t-il, c'est parce que ses eaux qui guérissent tout, ou presque, restituent l'unité essentielle de l'être humain, elles en sont comme le miroir thérapeutique". Ce que Dortoman observe est exprimé avec courage dans une époque où l'Eglise veille pour préserver son orthodoxie. Il affirme assez nettement que "les miracles (...) ceux qu'il observe à travers la guérison de ses patients, ne sont pas dus à une intervention de la transcendance divine, ils résultent de l'unité retrouvée de la vie en ce lieu qui est comme le microcosme de l'univers".
En ce lieu parce que l’eau ! Car l’eau est principe de toute chose comme Dortoman le rappelle tôt dans le titre et la première ligne du premier livre de son Traité convoquant le philosophe mathématicien Thalès :
« L’EAU NATURELLEMENT CHAUDE, COMME L’EST CELLE DES THERMES (DE BALARUC), EST LE SYMBOLE DES PREMIERS PRINCIPES DE LA NATURE »
« Thalès de Milet, fondateur de la secte philosophique ionienne, au témoignage de Plutarque, a professé que l’eau est le principe de toutes choses naturelles ».
ANNEXE
La lettre dans son intégralité
Au livre V, 2 de son ouvrage « Sur la République », écrit en 54 av. J.C., alors que la crise de l’État s’aggravait de jour en jour et que le pire, autrement dit la guerre civile apparaissait de plus en plus comme un événement probable, Cicéron écrit ceci : « Notre génération avait hérité d’une organisation politique comparable à une peinture magnifique sans doute, mais dont la netteté commençait à passer à cause de son âge ; non seulement elle a négligé de la restaurer, en y remettant les mêmes couleurs qu’autrefois, mais elle ne s’est même pas préoccupée de sauvegarder au moins son dessin et la ligne, pour ainsi dire, de ses contours. Qu’est-ce donc qui subsiste des mœurs d’autrefois, qui ont fait, comme a dit le poète que Rome restât debout ? ». Je me garderai bien d’interpréter ce texte à la lumière des événements récents, car sa portée me paraît bien plus vaste. Le passé est un legs, qui crée une responsabilité et qui exige aussi une volonté empêchant que ce qui fut ne sombre définitivement dans l’oubli. Cela est vrai pour la citoyenneté, cela est vrai aussi pour tout ce qui relève de la culture. Balarucois de cœur depuis plus de trente ans, j’arpente tous les étés cette région d’une richesse culturelle exceptionnelle, admirant précisément dans la beauté de ses paysages la capacité de ses habitants à poursuivre et à transformer, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Comme dans les manuscrits palimpsestes, où l’on effaçait un texte pour en écrire un second, sans que pour autant les traces du premier disparussent entièrement, le sol de la région balarucoise offre à qui veut bien les lire de multiples et antiques traces d’édifices publics ou privés qui sont autant de récits tissant inlassablement la dialectique de ce qui demeure identique et de ce qui change. Patiemment, comme l’a raconté le Dr Ayats dans son beau livre sur Maimona, nom probable de l’antique Balaruc, on a mis au jour des ruines –en 1995 encore, celle d’un édifice consacré à Mars, avenue des thermes- des inscriptions, des monnaies, des objets divers, qui comme autant de paroles que l’on aurait pu croire perdues, nous viennent de loin, de très loin. Partout la confirmation de la pérennité de cette vocation de ville d’eau, dans tous les sens du terme, dont depuis toujours les curistes sont les principaux bénéficiaires, non les seuls. Enrichir le patrimoine en le préservant et en l’accroissant n’est pas l’apanage des seuls historiens, archéologues et conservateurs de musées. Cela suppose chez tous le sens de cette responsabilité dont parlait Cicéron, autrement dit savoir privilégier l’antique legs, alors que la tentation est grande chez beaucoup de céder à la dernière mode, généralement aussi futile et éphémère que les précédentes. Cela nécessite aussi des choix budgétaires particulièrement difficiles en cette période où les besoins sont criants partout. Autrement dit, et nous revenons encore à Cicéron, tout est en définitive question de volonté. Le fait qu’il n’y a pas si longtemps un président des États Unis ait pu se faire élire avec comme slogan « Yes we can », nous le pouvons si nous le voulons, prouve qu’il n’est pas inutile de faire appel à cette force dont Descartes disait qu’elle est infinie, alors que l’entendement, lui, est fini.
Cicéron, Dortoman. En principe, tout ou presque sépare le brillant avocat et homme politique de la Rome antique et le grand médecin montpelliérain du XVIe siècle, dont je dois la connaissance au Dr Ayats. Tout, sauf qu’ils ont en commun le refus de considérer l’être humain comme une particule atomique qui pourrait subsister isolément. Cicéron réclamait que le citoyen prît en compte le passé de la République et le perçut non comme une entité étrangère mais comme son propre passé. Dortoman ne conçoit pas une médecine fragmentée, divisée en secteurs s’ignorant les uns les autres, ce qu’elle est parfois un peu trop souvent aujourd’hui. Humaniste de la Renaissance, il situe l’homme dans son environnement naturel et même cosmique, il le perçoit comme une unité de vie connectée au monde en toute occasion. Si Balaruc a pour lui une telle importance, c’est en particulier parce que ses eaux qui à ses yeux guérissent tout, ou presque, restituent l’unité essentielle de l’être humain, en sont comme le miroir thérapeutique. Avec Dortoman, quelles qu’aient pu être ses croyances personnelles, les miracles balarucois, ceux qu’il observe à travers la guérison de ses patients, ne sont pas dus à une intervention de la transcendance divine, ils résultent de l’unité retrouvée de la vie en ce lieu qui est comme le microcosme de l’univers. Que l’on me permette de faire état ici de mon expérience personnelle. Atteint il y a trente ans d’une forme sévère de spondylarthrite, j’étais soigné par d’excellents rhumatologues qui palliaient comme ils pouvaient les dégâts de la maladie, au fur et à mesure qu’ils se produisaient. En désespoir de cause, sur les conseils d’une parente, et devant la perspective de ne plus pouvoir marcher, je me résolus à venir à Balaruc, sans grand espoir, car mon rationalisme y répugnait. Je n’en repartis pas guéri, c’était impossible, mais dès la première cure je rentrai chez mois avec la conscience très nette que j’avais repris le dessus, que la maladie remporterait encore quelques victoires, mais que cette guerre-là c’est moi qui la gagnerais. Depuis, dortomanien sans le savoir jusqu’à une époque récente, je chante sur tous les tons les louanges de cette ville à laquelle je dois tant.
Cicéron, Dortoman. Deux messages, mais une même pensée fondamentale, plus nécessaire que jamais en cette période où tout pousse à l’accélération du temps, à la fragmentation et, par là-même de ne plus prendre le temps de penser à soi-même dans toutes les dimensions de notre humanité.
Carlos Lévy
Professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne