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DEUX OBSERVATEURS ZÉLÉS DÉCRIVENT BALARUC A LA FIN DU XVIème SIÈCLE

Publié le par Régis Ayats

En haut le plan de Balaruc au XVIème    En bas zoom sur ND d'AIX (L): le Tholos de Balaruc
En haut le plan de Balaruc au XVIème    En bas zoom sur ND d'AIX (L): le Tholos de Balaruc

En haut le plan de Balaruc au XVIème En bas zoom sur ND d'AIX (L): le Tholos de Balaruc

Deux témoins importants décrivent Balaruc et ses Thermes dans la fin du XVIème siècle: Nicolas Dortoman et Thomas Platter.

NICOLAS DORTOMAN

Dans un premier temps , Nicolas Dortoman dans son Traité de 1579, Sur les Causes et les effets des Thermes de Balaruc, tous près de la ville de Montpellier, appelé maintenant en abrégé le De causis, traduit du latin et annoté  par Marie-Françoise Delpeyroux, Jean Meyers et Brigitte Perez avec la collaboration de Régis Ayats, Université Paul-Valéry, Montpellier 2013, nous livre une description assez saisissante de Balaruc:

D’innombrables petits bourgs obscurs entourent cette ville de Montpellier, parmi lesquels Belilucus (les habitants l’appellent Balerucum, Balaruc) qui jouxte un étang, bourg situé à quatre lieues environ de la ville. Par rapport à Montpellier, celui-ci a 0,5 degré de moins en longitude et 0, 4 de plus en latitude. À partir de l’étang vers le  sud-est se trouvent, à distance de mille pas plus ou moins, les eaux dites de Balaruc, qui jaillissent de collines situées vers le nord, aux alentours desquelles la terre est de couleur rouge, et comme cuite par un feu souterrain, comme on le verra plus bas plus en détail : les Thermes,  autrefois plus éloignés de l’étang, sont aujourd’hui plus proches, de sorte que dans l’étang même, on peut apercevoir des tourbillons d’eaux chaudes, agitées, bondissantes et comme bouillantes, qui sortent par des conduits souterrains de la cavité principale des Thermes et se déversent dans l’étang.

À partir de ce point de la péninsule, les eaux de Balaruc sont presque encerclées par la mer à l'est, au sud et à l'ouest, de sorte que Balaruc n'est accessible que par le côté nord, qui le rattache à la terre et qui est montueux, rude, rocailleux et aride. Quant à la description particulière et au site de ce qui est davantage une cabane qu'un édifice adapté, selon la coutume ancestrale, à des Thermes si importants, à la description du bourg de Balaruc, du chemin qui mène du bourg aux Thermes, du Bassin dans lequel se déversent les eaux, des vignes, des champs, des monticules, du sanctuaire de Notre Dame d’Aix, du site des anciens Thermes, de l'étang, de la plage et de la jetée, du bras de mer intérieur et méridional, de la colline de Sète, etc., la figure qui suit en montrera la carte détaillée.

Nicolas Dortoman se livre également à une recherche étymologique du nom de Balaruc:

Balineum ou bien balneum, et balneae ou bien balnea (le mot grec βαλανεῖον, passé en latin, vient ἀπὸ τῶν βαλάνων, c'est-à-dire « des glands » dont l'enveloppe maintenait de l'extérieur notre chaleur, tout comme leur chair la maintenait de l'intérieur, selon la Souda), ces mots désignent des lieux contigus et fermés : au pluriel, ce sont les bains publics et, au singulier, c'est le bain privé chez les particuliers ; nous y suons, nous nous y lavons, nous nous y débarrassons de la saleté, dans le but de conserver la santé et d'éloigner la maladie. Des Bains, nous distinguons les Thermes, dont le nom vient ἀπὸ τῆς θέρμης, « de la chaleur ». Tout d'abord, si les Bains sont chauds, c'est seulement par l'art et non naturellement, tandis que les Thermes peuvent être chauds et par l'art et naturellement. Deuxièmement, les Bains supposent toujours un liquide pour se laver, tandis que même sans eau, les Thermes, secs et sudorifiques, sont appelés ainsi. Troisièmement, rien n'empêche que les Bains se fassent à l'eau froide, tandis que les Thermes ne connaissent que l'eau chaude. On appelle peut-être le bourg Belilucus, parce qu'en ce lieu, ou plutôt dans ce lucus (bois sacré), les habitants vénéraient Bélus, ou Beëlus ou Baalamus (ces noms qui signifient la même chose chez saint Jérôme désignent tous les dieux faisant l'objet de cultes, dieux pourtant faux, comme l'entendent les spécialistes d'histoire sainte). Du reste, des témoignages transmis de mains en mains, tant des vivants que des morts– pères, aïeuls, bisaïeuls – tendent à prouver qu'il y eut autrefois un bois, et les habitants, aujourd'hui encore, le confirment unanimement. Celui-ci a été coupé peu à peu, en raison des très fréquentes périodes de guerre, des troupes de brigands funestes aux voyageurs et en vue de faire un usage plus agricole d'une terre autrefois sauvage et boisée. Le bois coupé et les poutres qu'on en tirait ont permis de construire des places fortes, des villages et des bateaux, en plus grand nombre dans cette partie du Languedoc qu'ailleurs. De là vient qu'il ne demeure presque aucun bois, aucune futaie, aucune forêt si ce n'est quelques-unes qui seront bonnes à couper dans dix ou quinze ans. C’est pourquoi Belilucus tire son nom d’un dieu réputé prospère, Belus, et de lucus, ce qui est de fait le plus vraisemblable.

En outre, c’est à la Vierge d’Aix, que ces eaux sont, dit-on, consacrées, et ses voeux seraient restés lettre morte, si l’on devait croire que le bain a été dédié à un dieu, du reste incertain. Du reste, il subsiste un temple en ruines, voisin des Thermes de Balaruc, consacré à la Vierge Marie, (notre Dame d’Aix en langue vernaculaire), appelée par nous Aquensis (d’Aix), de aquis (eaux) ; ce nom en effet (Aix) signifie pour les Gaulois des eaux, des Bains ou des Thermes. Il a été dédié à la Vierge en tant que femme, selon la coutume des Anciens, qui n’hésitèrent pas à consacrer un temple à celles qui soignaient les maladies, les déesse.

Une autre chose intéressante qui pourrait expliquer pourquoi, sur son plan de Balaruc contenu dans son traité 1579, Nicolas Dortoman représente ND d'Aix sous la forme d'un temple rond à colonnade comme le Tholos d'Epidaure: Il ne faut pas omettre ici que les traitements médicaux étaient tirés autrefois d’un bois, au témoignage de Pausanias. Il atteste en effet qu’à Epidaure il y avait un bois consacré à Esculape, et dans lequel un temple rond reposait sur plusieurs colonnes, sur lesquelles étaient inscrits des noms d’hommes et de femmes ainsi que ceux des affections dont ils avaient été soignés.

THOMAS PLATTER

Thomas Platter est un suisse bâlois, il effectue ses études de médecine à Montpellier, loge chez le célèbre herboriste Jacques Catalan et en profite pour visiter la région et décrit ce qu'il voit à la manière d'un guide touristique. Emmanuel Le Roy Ladurie dans son ouvrage Le voyage de Thomas Platter Fayard 2000, livre une traduction descriptive de son passage à Balaruc le 14 octobre 1595 à l'occasion d'une sortie d'herboristerie en compagnie du Professeur Ranchin. Il signale également le Traité de Nicolas Dortoman comme une référence pour juger de l'intérêt des eaux de Balaruc:

On trouvera tous les renseignements sur le métal ou le minéral que contient cette eau; sur la façon dont elle s'écoule par un canal jusqu'à l'étang, lequel n'est qu'à une portée d'arquebuse de l'établissement thermal; sur les qualités et particularités de ces eaux balaruciennes, on trouvera tout cela, disais-je, dans un petit livre original de Monsieur Nicolas Dortoman, docteur en médecine de Montpellier. Il est imprimé en latin, et il contient un plan de cette installation thermale; il a été publié in octavo. Il faut dire que pendant les quatre années qui ont suivi ma visite, on a beaucoup construit sur cet emplacement.

Balaruc vue par Thomas Platter ce 14 octobre 1595: C'est une bourgade située à quatre lieues de parcours depuis Montpellier, et à une demi-heure de marche de la rive (orientale) de l'étang de Thau. Cette localité dispose d'une bonne enceinte de rempart. on y dénombre environ quatre-vingts ou cent maison, mais pas d'artisans. Les habitants sont pêcheurs pour la plupart d'entre eux; les autres sont mariniers, vignerons ou cultivateurs de champs de céréales.

Le matin du 14 octobre, nous nous sommes rendus aux bains d'eau chaude de Balaruc. Leur établissement se situe à environ une portée d'arquebuse de notre campement de nuit, lequel dans le temps était un monastère. L'endroit où se trouvent les bains chauds, Thermae Balarucanae, est fort mal bâti, car les sources chaudes changent souvent de place, comme j'ai pu l'expérimenter en toutes sortes de lieux. C'est la raison pour laquelle, à Balaruc, on n'a pas érigé de construction importante, les sources locales n'étant ni fixes ni fiables. Nous y vîmes pourtant quantités d'hommes et de femmes, de haut parage, venus de Montpellier, Nîmes, Toulouse et autres places, fussent-elles éloignées. Ces gens-là, bon gré mal gré, se contentaient des installations locales. Car on était au plus fort de l'activité balnéaire, à savoir en automne. Ce serait la même chose au printemps. Mais l'hiver et l'été, en matière de thermalisme, sont considérés ici comme nuisibles et l'on évite de venir à ce moment-là.

Il y avait peu de gens qui se baignaient dans l'eau chaude de Balaruc, puisque aussi bien il y a fort peu de baignoire ou d'auges balnéaire ad hoc . En règle générale, ces gens buvaient cette eau par six, huit, jusqu'à douze verres à la fois et en une seule fois. On s'y prenait progressivement pour commencer, puis de la même façon pour finir; exactement comme on fait pour les sources d'eau  saline. Chacun se conformait, de ce point de vue, à ce que les médecins de Montpellier conseillaient comme devant se faire en l'occurrence. Autant dire que les eaux de Balaruc, pour ces médecins, c'est comme une riche moisson. On ne tâte en effet de ces eaux thermales que sur ordonnance et prescriptions de ces dits médecins. L'eau en question est chaude par elle-même, très fortement salée, et elle fait un effet boueux quand on la boit. On dirait presque une soupe chaude, sale... et salée. Chacun avale sa portion, puis va faire un tour dans la campagne. Les dames les plus distinguées vont de-ci, de-là par les champs, au bras de leur serviteur ou de leur amoureux. L'eau de Balaruc agit immédiatement, à la manière d'une formidable purge, et c'est merveille de les voir en pleine campagne qui s'en vont chier ensemble dans les buissons. Car on est au bord de l'étang; il n'y a ni arbre ni bâtisse pour se mettre à couvert. On ne peut se cacher nulle part.

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